Réponses de Ségolène Royal

Paris, le 1er mars 2007

 

à Monsieur Claude GOT et aux membres de l’association sécurité-sanitaire.org

 

Mesdames, Messieurs,

Vous m’avez interpellée sur différentes questions liées à la sécurité sanitaire dans notre pays.

Pour moi, la sécurité sanitaire est au cœur du contrat social que je veux construire avec les Français. Elle nécessite que nous pensions le rapport du politique à la santé dans la durée, dans la totalité de la chronologie humaine, au-delà du seul vécu personnel et contemporain, et le lien entre les intérêts individuel et collectifs. Dans la lignée du développement durable se pose ainsi la notion de santé durable, c’est-à-dire de promotion collective et égalitaire qui tend à réaliser l’idéal d’une société démocratique réconciliant l’individu et la santé, par un projet global fondé sur l’action sur l’environnement, la réglementation, l’éducation et l’information à la santé.

Notre pays a trop longtemps, et aujourd’hui encore, privilégié le curatif, ce qui explique, malgré l’excellence de sa médecine et sa bonne couverture sociale, la subsistance d’une mortalité prématurée encore trop importante et la persistance de grandes inégalités sociales devant la vie et la mort.

C’est ce projet global que je veux bâtir et dont je veux présenter ici les grandes lignes.

Alcool et tabac sont à la fois les fléaux sanitaires les mieux connus et ceux qui mettent encore le plus en péril la santé de nos concitoyens. La lutte contre le tabac – qui a progressé sous le gouvernement actuel, je veux le souligner – est une priorité qui nécessite la mise en place d’un dispositif d’ensemble. Aussi est-il temps que la réforme majeure initiée par Claude Evin soit pleinement mise en œuvre et que tous les lieux publics deviennent non-fumeurs. Il faut aussi continuer à ajuster les prix pour faire diminuer sensiblement la consommation de tabac dans notre pays. Cet ajustement appelle une harmonisation européenne pour éviter les phénomènes de contrebande et de concurrence avec les pays limitrophes qui amoindrissent les efforts politiques nationaux.

Mais il faut aussi être plus efficace dans la prévention précoce, l’information sur les dangers du tabac et dans l’aide aux fumeurs.

Chacun connaît aussi les ravages de l’alcoolisme dans notre pays. Là encore, je tiens particulièrement à ce que l’on applique précisément la loi Evin, telle qu’elle était à l’origine.

Bien évidemment, je serai très ferme sur la réglementation publicitaire, afin de ne pas exposer les enfants et les adolescents aux tentations de la consommation précoce d’alcool. Dans le même sens, je veux intervenir sur l’omniprésence dangereuse des distributeurs d’alcool en milieu universitaire et dans les lieux festifs dédiés aux jeunes.

Je veux aussi renforcer l’information en direction des femmes enceintes.

L’information aux consommateurs est une nécessité dans la stratégie de prévention que je veux mettre en place. Cette stratégie appelle la concertation des différents acteurs concernés pour que nous sachions rendre ces dispositions efficientes.

Je veux aussi que l’on sorte de l’opposition factice entre la défense légitime des intérêts des viticulteurs et la santé publique. Ce n’est en aucun cas le renforcement des mesures visant à lutter contre les ravages de l’alcoolisme qui met en péril l’avenir de notre belle viticulture. D’une part, la surconsommation d’alcools concerne tous les produits alcoolisés et pas uniquement le vin. D’autre part, l’essentiel de la crise que la viticulture traverse tient à la fragilité de ses stratégies commerciales dans le cadre de la mondialisation.

Le Conseil de la Modération et de la Prévention n’apporte pas de solution à la filière viticole et son action ne me semble pas aller dans le sens d’une politique de santé transparente.

D’une manière générale, je pense que notre pays accuse un grave retard dans la lutte contre les addictions. C’est un plan global, à destination des publics les plus vulnérables, qui doit être mis en place. La consommation de produits illicites est un sujet majeur de santé publique et de sécurité sanitaire.

Comme j’ai tenu à le souligner en introduction à mon propos, la sécurité sanitaire nécessite la prise en compte de tous les déterminants environnementaux. La fragilité économique et sociale des populations ainsi que l’influence des pressions financières et publicitaires en font partie. L’exemple de l’obésité, épidémie du siècle, est là pour nous le rappeler. L’action à conduire en la matière passe par un renforcement de la prévention précoce et de l’information sur les risques d’une alimentation carencée et trop riche, de la sédentarité et du surpoids sur la santé. Je souhaite donc que l’on poursuive l’action du PNNS en lui donnant une plus grande ampleur. Je souhaite aussi limiter strictement la publicité en direction des enfants et des adolescents.

La lutte contre l’obésité infantile est un objectif prioritaire de l’action politique que je veux mener. Mais, de manière plus générale, je veux que soit mise en œuvre une politique spécifique et active de prévention chez l’enfant par un renforcement de la PMI et une relance de la médecine scolaire.

L’information sur les risques du surpoids et de l’obésité doit être harmonisée au plan européen, voire au niveau international. Elle doit aussi être la plus transparente et la plus compréhensible possible. Chacun doit pouvoir savoir ce qu’il a dans son assiette ! Mais l’information aux consommateurs ne suffit pas.

Nous savons tous combien l’obésité est en partie liée à des facteurs sociaux. C’est pour cela que j’ai, avant 2002, beaucoup oeuvré pour renforcer l’éducation à la santé dans le cadre de la restauration scolaire. Il faut continuer dans ce domaine de l’éducation à la santé et de l’apprentissage des bonnes conduites en matière sanitaire. Il faudra aller encore plus loin en nous engageant, par exemple, auprès des collectifs de soutien aux plus démunis et des épiceries sociales pour que les personnes à faibles ressources puissent bénéficier d’un accès à une alimentation équilibrée.

Cela passe aussi par la redéfinition des contours et du contenu de notre politique agricole pour l’adapter aux besoins réels du consommateur. Ainsi promouvoir, dans une visée préventive, une alimentation de qualité, aux quantités équilibrées et aux apports variés, requiert d’accorder une priorité à la filière fruits et légumes, aujourd’hui pourtant la moins aidée. La politique agricole doit mettre la santé au cœur de notre alimentation et permettre la préservation de notre alimentation.

Une politique de sécurité sanitaire efficace réclame aussi un renforcement important de l’épidémiologie dans notre pays, par l’augmentation des moyens qui lui sont dévolus, tant en matière de recherche que d’épidémiologie opérationnelle.

En matière de sécurité routière, il ne peut pas y avoir de demi-mesure. C’est pour cela, pour illustrer l’effort que je veux faire sur cette question, qu’il n’y aura pas d’amnistie présidentielle si je suis élue. Mais il faut aussi que nous améliorions les dispositifs en vigueur. Je plaide ainsi pour l’harmonisation européenne des limitations de vitesse adaptées à la configuration du réseau routier. La prévention des accidents de la circulation passe aussi par une amélioration de la qualité de notre réseau routier et des signalisations.

Mais, la prévention routière pose aussi la question de la mise en circulation de certains véhicules inutilement rapides. Plus généralement, c’est notre rapport à l’automobile qui doit être repensé tant pour renforcer notre sécurité routière que pour diminuer sensiblement le nombre des véhicules polluants et inutilement consommateurs de carburant.

C’est sur cette autre dimension de l’environnement social que je voudrais conclure mon propos sur la sécurité sanitaire. L’environnement professionnel est une de mes préoccupations centrales. La tragédie de l’amiante ne doit jamais se reproduire. Je pense à ces milliers de familles meurtries à jamais, à cette tragédie humaine, à ce gâchis économique. C’est pour cela que je veux que toutes les données concernant l’environnement soient accessibles pour tous les citoyens, en facilitant l’accès à cette information. Il faut ainsi que l’expertise-amiante de tous les bâtiments soit rendue publique par le biais des fichiers informatisés du cadastre.

C’est pour cela que je veux aussi que faire de la santé au travail une priorité. L’actuelle fragilisation des conditions sanitaires au travail touche toutes les catégories socioprofessionnelles et la plupart des métiers et des branches professionnelles. La santé au travail est un enjeu à plus d’un titre. Un enjeu sanitaire, tout d’abord, car on ne peut plus continuer à rester passif devant l’explosion de ces symptomatologies, handicapantes voire fatales. Elle est une des principales explications des inégalités sociales devant la santé. Mais elle est, en outre, un enjeu économique et social de grande ampleur. Cette usure précoce des travailleurs, notamment les moins qualifiés, a pour conséquence directe d’accroître le chômage des seniors et de rendre impraticable l’augmentation de la durée de vie au travail alors même que c’est cette allongement de la vie active qui est le principal facteur d’accroissement de l’espérance de vie après 50 ans.

Si j’ai choisi de parler de santé durable en abordant la question de la sécurité sanitaire c’est que je veux mettre en place un modèle de société qui assure le développement et l’égalité sociale dans notre pays, où aucune nuisance mettant en danger la vie d’autrui ne puisse être justifiée au nom d’un intérêt supérieur, où le compromis entre liberté et fraternité se fasse dans le sens d’une meilleure prise en compte des risques et où l’Etat incarne pleinement son rôle de garant.