Note sur les éléments intervenant dans l’expertise des effets possibles sur l’insécurité routière
de l’amnistie accompagnant l’élection  du
président de la
Républiq
ue.

Origine : Claude Got le 9 février 2002, ce texte a été revu et complété le 31 janvier 2007.

Plusieurs aspects du problème sont à prendre en considération. :

Les hypothèses

La controverse sur les effets possibles de l’amnistie sur l’insécurité routière a porté sur plusieurs points très différents :

1/ quelles sont les attitudes des usagers face au risque et à la réglementation ? Leurs représentations des risques peuvent-elle interférer avec leur comportement en période de pré-amnistie ?

Les comportements des usagers sur les routes et leur respect de la réglementation dépendent de nombreux facteurs, les uns relèvent principalement d’une adhésion à la réglementation considérée comme utile et protectrice, et s’intégrant dans un respect général du droit (avec bien entendu tous les intermédiaires entre un respect très strict et la prise de libertés avec la règle qui peuvent varier pour le même individu en fonction des contraintes qui s’exercent sur lui), les autres sont plutôt le fait d’une appréciation individuelle de ce qui est dangereux ou pas, sans que la réglementation soit la référence, le risque pris en compte étant alors celui de subir un contrôle et des sanctions et non celui de s’exposer à un accident. Là encore toute un gradation de comportements de transgression se traduisent dans les constats effectués lors d’études d’accidents ou lors des contrôles effectués par la police et la gendarmerie.

Les médias qui ont fait la promotion de l’amnistie sont nécessairement conduits à nier que l’on puisse envisager que leurs conseils soient capables de modifier un comportement et transformer un usager « normal » en infractionniste. Cette affirmation est particulièrement nette dans les textes de l’Auto-Journal du 10 janvier 2002, provoqués par la controverse sur l’influence de l’amnistie sur la sécurité routière : « Jean Claude Gayssot et ses sbires nous rebattent actuellement les oreilles avec le prétendu effet pervers de l’amnistie qui nous transformerait tous en chauffards quelques mois avant les élections » (éditorial de Philippe Verheyden), « Le vent de l’amnistie attiserait l’incivisme le plus sauvage et réveillerait les comportements sournois qui poussent à écraser l’accélérateur, griller les stops ou rouler ivre-mort. N’importe quoi ! » (Christophe Bourgeois). Ces propos sont dans la ligne éditoriale de ces revues qui présentent toujours (pour les dénoncer et leur ôter toute crédibilité) les attitudes les plus extrêmes. Il est indispensable à leurs yeux que leur lectorat ne se reconnaisse pas dans de telles déviances et continue d’adhérer aux thèses contraires à toutes les conclusions des accidentologistes, mais qui font le lien entre la revue et ses lecteurs.

La première est  le fait que la vitesse n’est pas dangereuse, c’est seulement un facteur d’aggravation des conséquences des accidents, ce qui permet aux « bons conducteurs » de s’affranchir des règles sur les limitations de vitesse. Cette négation de l’évidence, qui permet d’avoir bonne conscience quand on transgresse les règles, est un obstacle majeur au développement d’un consensus social sur le risque lié à la vitesse. Son influence a été constamment sous-évaluée par les responsables de la sécurité routière qui sont pris entre le désir de communiquer sur la vitesse et le danger qu’il y aurait pour eux à le faire avec précision, car ils s’exposeraient alors au risque de poursuites pénales pour avoir laissé mettre en circulation des véhicules inutilement rapides et dangereux. Nous sommes donc dans une situation très particulière où la caractérisation d’un chauffard caricatural permet de masquer le véritable mécanisme de l’action de l’amnistie. Cette présentation permet à un groupe majoritaire de conducteurs qui estiment conduire mieux que la moyenne (le paradoxe de l’autosatisfaction des conducteurs français est une constante des sondages explorant ce point) de s’affranchir du respect de certaines règles pendant plusieurs mois. Leur attitude ne se fonde pas sur l’hypothèse de l’Auto-Journal qui envisage le déviant extrême qui affirmerait : « je peux me comporter comme un chauffard en toute impunité pendant plusieurs mois », mais sur une justification plus valorisante que je formule de la façon suivante : «je peux conduire comme je sais le faire et en toute sécurité pendant plusieurs mois, parce que je n’ai plus à craindre des réglementations abusives, et mal appliquées (les radars placés dans des endroits qui ne sont pas dangereux), notamment sur les limitations de vitesse. ».

Pour résumer cette hypothèse, les médias spécialisés ont intégré leur discours sur l’amnistie dans un cadre invariant depuis l’instauration des limitations de vitesse en 1973 qui est une négation de la forte influence sur le risque d’une faible augmentation de la vitesse moyenne de la circulation. Rappelons que de  multiples études ont précisé l’influence de ces variations, qui diffèrent suivant l’environnement (urbain, routier, autoroutier). Les valeurs les plus souvent retenues sont une augmentation de 4% de la mortalité quand la vitesse moyenne s’accroît de 1% (les proportions sont différentes si l’on prend en compte l’ensemble des accidents corporels).

2/ Peut-on imaginer que les médias soient à l’origine, par des interventions datées, d’un accroissement de la mortalité sur les routes ?

L’attitude adoptée face à ce problème influence directement la prise en compte de l’intervention des médias dans l’analyse de l’évolution de l’accidentalité. Je fais l’hypothèse que cette action a été déterminante et que cela explique les différences observées entre les différentes élections

Les différentes élections sont-elles comparables ?

Ce premier point est important pour récuser la critique qui m’a été adressée de ne prendre en compte que les deux dernières amnisties pour mon analyse et non les cinq amnisties qui ont suivi les élections de 1969, 1974, 1981, 1988 et 1995 (La création de l’amnistie par Charles de Gaulle après l’élection de février 1966 fut une surprise et nous pouvons donc éliminer cette première amnistie de l’analyse). Les deux élections suivantes ont des caractéristiques communes : elles ne se sont pas déroulées suivant le calendrier normal, au terme d’un septennat. De Gaulle a quitté ses fonctions le 28 avril 1969 au lendemain du referendum, et Georges Pompidou est décédé également de façon imprévisible le 2 avril 1974. Il n’y a donc pas eu lors de ces deux élections une période de 7 à 12 mois pendant laquelle les usagers pouvaient espérer faire traîner des procédures à partir de la date du constat de l’infraction jusqu’au moment ou l’amnistie sera effective.

Les trois élections suivantes (1981 – 1988 et 1995) se sont déroulées à la date prévue en fin de septennat. Pourquoi n’ai-je retenu que les deux dernières pour analyser l’évolution de la mortalité routière pendant des périodes précédent la publication de la loi d’amnistie ? Mon hypothèse est que l’anticipation de l’amnistie n’était pas une attitude dont les automobilistes avaient l’expérience. Lors des amnisties de 1969 et 1974, la bonne nouvelle est venue après l’infraction, 1981 était la première occasion d’imaginer le pardon avant que la faute soit commise. Les automobilistes n’ont pas été incités à faire cette hypothèse et à modifier leur attitude dès la fin de 1987 et 1994. En résumé il n’y a pas eu en 1980/1981 d’intervention des médias sur le thème « amnistie mode d’emploi ». Jean Orselli a mis en doute cette affirmation, il serait plus crédible s’il avait fait cette recherche et produisait des articles de fond décrivant le mécanisme de l’amnistie dans la période 1980/1981. J’ai fait cette recherche dans les deux médias les plus diffusés à cette époque (lectorat évalué à environ 4 millions de lecteurs pour ces deux titres). Ce sont ceux qui ont fait la promotion de l’amnistie de 1988 et de celle de 1995, l’Auto-Journal et l’Automobile magazine.

Je n’ai pas trouvé de texte faisant allusion à l’amnistie dans l’Auto-journal entre le 1er janvier 1980 et l’élection de 1981. Mon analyse a porté sur les éditoriaux, les articles d’actualité, le courrier des lecteurs et les rubriques juridiques. Un entretien avec Jacques Chirac dans le numéro du 1er mars 1980 indiquait qu’il était « contre les limitations de vitesse sur les autoroutes » et qu’il « s’était prononcé contre les codes en ville ». Il n’était pas encore un candidat déclaré et ne s’est pas exprimé sur le problème de l’amnistie. En avril 1981, quelques semaines avant l’élection, une demande de réduction de la TVA sur les automobiles était demandée aux candidats à l’élection, mais rien sur la perspective d’une amnistie.

L’Automobile magazine n’a pas non plus produit d’article rédactionnel faisant la « promotion de l’amnistie » pendant cette période 1980/1981. J’ai pu lire quelques lignes sur ce sujet dans le numéro de janvier 1981 (page 16) en réponse à un lecteur qui se renseignait sur la possibilité de « jouer l’inertie et attendre l’amnistie ». La réponse était nettement défavorable à cette attitude « n’attendez pas trop d’une éventuelle amnistie, qui ne pourra être si elle vient qu’une bonne nouvelle ». L’attitude est identique dans le numéro de février (page 15), toujours en réponse à un lecteur, le propos est encore plus précis « Bien que n’étant pas dans les confidences du Gouvernement, quelque chose nous dit qu’après la mise aux voix du Parlement de ce projet de loi dit sécurité et liberté qui restreint pas mal de libertés individuelles et accroît les pouvoirs de répression du juge, et compte tenu de la réélection sondagièrement probable de l’actuel Président de la république, il serait hasardeux de faire un pari sur la reconduction complète du système de la loi d’amnistie présidentielle » Nous sommes très loin des articles qui apparaîtront avant les élections de 1988 et 1995

Quand l’élection se déroule à la date prévue par le calendrier électoral et que la presse est entrée dans cette procédure de « conseil en usage optimal de l’amnistie », peut-on identifier les facteurs susceptibles d’influer sur le comportement des usagers ?

Le jeu avec les règles pénales dépend de caractéristiques personnelles des usagers et éventuellement des renseignements qui leurs sont fournis par l’observation du système de contrôle et de sanction. Une étude avait analysé l’évolution de la proportion d’usagers en infraction sur la vitesse en un endroit précis, après la mise en place de contrôles réguliers pendant une période longue. Quand les contrôles visibles cessaient et étaient remplacés par une mesure de vitesse utilisant des radars cachés, le retour à la situation antérieure de la distribution des vitesses se faisait après un délai variable. Les usagers qui réagissaient à un risque de sanctions évaluaient la probabilité d’un nouveau contrôle à des niveaux différents, ou acceptaient de prendre des risques différents, pour faire le choix du moment où ils reprenaient leur attitude antérieure. Il est possible que certains usagers ne s’estiment « en sécurité » qu’à partir de janvier ou de mars de l’année de l’élection, d’autres plus optimistes, acceptant les conseils des revues dès le moment de leur parution à la fin de l’année précédente.

Dans cette conception de la représentation du risque de sanction comme un déterminant des comportements routiers, la nature de l’intervention des médias doit être décrite avec précision. Il faut distinguer le moment de l’intervention et la nature des informations données :

3/ Conclusions pour les amnisties de 1988, 1995 et 2001.

4/ La situation de 2006/2007

Elle est totalement différente, la presse automobile spécialisée et la presse généraliste n’ont pas annoncé à leurs lecteurs une probable amnistie des fautes de conduite après l’élection présidentielle. Le problème pouvait paraître complètement dépassé pour trois raisons :

Il faut également prendre en considération l’attitude des candidats qui est le second facteur d’intervention à côté de l’influence d’éventuelles campagnes dans les médias. Si l’on simplifie le problème en le limitant aux quatre candidats les mieux placés dans les sondages qui ont été interrogé par la revue Auto Plus (résultats dans le numéro du 9 janvier), il apparaît que Nicolas Sarkozy s’est prononcé contre toute amnistie de ce type d’infractions, Ségolène Royal n’a pas répondu à la question,  François Bayrou s’est déclaré opposé à l’amnistie mais « favorable à une loi permettant de récupérer des points plus vite que maintenant », ce qui revient à instituer une amnistie permanente vidant de son pouvoir de dissuasion le permis à points, Jean-Marie Le Pen est lui favorable à l’amnistie de toutes les amendes, « sauf en cas d’infractions ayant entraîné des blessures ou le décès ».