Annexe de la fiche sur la limitation de la vitesse des véhicules à la construction

La lutte contre les possibilités de vitesse excessive inutile et dangereuse est une préoccupation ancienne de notre groupe, présente dès le questionnement de 1988 qui demandait aux candidats de s’engager sur l’obtention « du respect de la réglementation sur les limitations de vitesse par des moyens techniques situés à bord des véhicules ».

Rien n’a été fait dans ce sens au cours des vingt dernières années. Au contraire l’évolution des caractéristiques des véhicules s’est faite dans un sens opposé à cette exigence raisonnable. Les véhicules commercialisés sont de plus en plus puissants et leur vitesse maximale de plus en plus élevée. Dans le même temps (et il fallait le faire), les pouvoirs publics développent des systèmes sophistiqués de contrôle de la vitesse, réduisent les tolérances sur les vitesses maximales et obtiennent par la contrainte et la dissuasion des résultats spectaculaires dans le domaine de la sécurité routière.

L’un d’entre nous a créé une association,  l’APIVIR (Association pour l’interdiction des véhicules inutilement rapides) dans le but de développer une action devant le Conseil d’Etat pour faire reconnaître le caractère illégal de la délivrance de cartes grises permettant de mettre en circulation des véhicules dépassant la vitesse maximale autorisée dans un pays où l’on ne doit pas dépasser 130 km/h et dont le code de la route indique dans sa partie législative que les véhicules doivent être construits pour assurer la sécurité de tous les usagers. La réponse du Conseil d’Etat n’a pas été une mise en question de nos affirmations mais le constat d’une situation de droit au niveau de l’Union Européenne qui a fixé au niveau de cet ensemble politique les règles définissant les caractéristiques techniques des véhicules et notamment des voitures particulières. Le site www.apivir.org présente l’intégralité de cette procédure qui sera poursuivie au niveau de la Cour Européenne des Droits de l’Homme. Les annexes de la procédure réunissent tous les arguments techniques établissant que le risque réel croît avec la vitesse maximale conférée à un véhicule lors de sa construction.

Les faits les plus importants sont les suivants :

L’évolution de la vitesse maximale par construction des voitures particulières. Son  évolution a été publiée dans le livre blanc de sécurité routière de 1988. Le tableau établi par Renault pour la période 1967-1987 indiquait la proportion de véhicules produits au cours d’une année en fonction de leur vitesse maximale possible lors de leur construction. Il est facile de le compléter avec vingt années supplémentaires de passivité des pouvoirs publics et de l’Union Européenne, la quasi-totalité des voitures particulières dépasse 150 km/h et près d’un tiers des modèles offerts en 2006 peut atteindre 200 km/h.:

Année

90 à 110 km/h

110 à 130 km/h

130 à 150 km/h

Plus de 150 km/h

1967

28%

29%

33%

10%

1972

13%

19%

47%

21%

1980

 

18%

32%

50%

1987

 

4%

23%

73%

 

Une étude de Bohlin (ingénieur chez Volvo) de 1968 documentait parfaitement l’évolution du risque de blessure en fonction de la vitesse de circulation.

Le lien entre la variation de vitesse lors d’un impact et le risque est également parfaitement documenté depuis des décennies. Dans le document ci-dessous provenant de la structure de recherche de Renault avec laquelle l’un d’entre nous a collaboré pendant trente ans le delta V est la variation de vitesse au cours de l’impact et l’ordonnée indique la proportion de cas avec décès.

La contribution des données produites par les assureurs à l’évaluation du risque lié à la mise en circulation des véhicules inutilement rapides est particulièrement importante.

Les assureurs ont modifié récemment les règles déterminant l’appartenance d’un véhicule à un groupe de tarification lors de sa mise sur le marché. Cette actualisation ne transforme pas en profondeur les critères utilisés pour déterminer cette classification, il s’agit simplement d’une adaptation produite à partir des résultats observés et destinée à faire concorder le plus étroitement possible le risque et les primes payés par les assurés. Si le facteur humain était le seul à intervenir sur le risque dans la détermination des dommages provoqués chez des tiers, la procédure de classement tiendrait compte uniquement des variables humaines (ancienneté de permis, sexe, âge, bonus-malus etc.). Il n’en est rien, les assureurs tiennent compte d’abord des caractéristiques du véhicule assuré.

 

Le classement dans un groupe est obtenu par l’application de la formule suivante :

valeur du groupe  = 20 + ((a x Préelle/Mvide + Moccupants) + (b x Vmax – Vréf) + (c x PTAC)) x ( 1 + d x Nconception)

a,b,c,d sont des coefficients de pondération pour les différents facteurs pris en compte : a = 27,88  b = 0,0769  c = 0,00283  d = 0,020

P réelle = puissance réelle du véhicule en chevaux DIN

Mvide = masse à vide du véhicule tous pleins faits, en kilogrammes

Moccupants = évaluation de la masse de deux occupants et de leurs bagages à 200 kilogrammes

Vmax = vitesse maximale du véhicule en Km/h

Vréf = vitesse de référence fixée à 130 km/h

PTAC = poids total autorisé en charge en kilogrammes

Nconception = note de conception attribuée au véhicule qui varie entre 0 et -2 pour un véhicule considéré comme excellent de ce point de vue (cet élément intervient peu sur le classement compte tenu de la faible valeur donnée au coefficient d, cette note de conception tient compte des facteurs améliorant la sécurité active ou passive du véhicule)

Cette formule identifie parfaitement les facteurs de risque quantifiés par les accidentologistes. La convergence des deux formes d’abord de l’accident, par les coûts induits et par les dommages humains évalués en termes de blessés légers ou graves et de tués, n’est pas surprenante, les assureurs ont été les premiers utilisateurs des méthodes statistiques de l’épidémiologie. Pour prévoir des coûts et ajuster des primes ils observent les situations réelles et ils construisent des modèles empiriques. La formule précitée est un modèle mathématique du risque routier lié au véhicule.

Il est important de constater que l’usage des trois facteurs de risque utilisés est d’une grande simplicité :

-         le premier élément de la formule caractérise le rapport Puissance/Poids c’est à dire le nombre de chevaux qui seront utilisés pour mobiliser un véhicule de 900, 1200 ou 2000 kilogrammes. Plus il y aura de puissance par unité de poids, plus le véhicule pourra accélérer et avoir une vitesse maximale élevée,

-         le second élément semble redondant avec le premier puisqu’il se fonde sur la vitesse maximale exprimée sous la forme d’une différence par rapport à la vitesse la plus élevée autorisée sur nos routes. Son utilité justifiait cependant son usage car il est clair qu’un véhicule peut avoir des caractéristiques de pénétration dans l’air qui vont modifier sa vitesse maximale pour un rapport Masse/Puissance identique. L’excès de vitesse maximale potentielle par rapport au maximum autorisé est une notion qui se rapproche étroitement de notre démarche. Plus on peut dépasser les vitesses maximales autorisées, plus on engendrera de risque, donc de dépenses pour les assureurs,

-         le troisième élément a également une relation avec les deux autres facteurs de risque, tout en ayant son rôle propre qui justifie sa prise en compte. Nous avons cité plusieurs études mettant en évidence le rôle très important de la masse des véhicules dans le risque routier et le lien statistique très fort qui unit la masse, la puissance et la vitesse maximale. Accroître la vitesse maximale augmente le risque d’être impliqué dans un accident, accroître la masse augmente les dommages produits par l’accident. Quand on associe vitesse élevée et masse élevée, on obtient le risque maximal, le véhicule devient incompatible avec la survie des occupants des véhicules heurtés de faible masse.

Les compagnies d’assurances vont utiliser cette formule, combinée à des facteurs de risque humains tels que le bonus-malus et l’ancienneté du permis pour établir leur tarification que nous considérons comme représentative du risque réel (cela n’a pas toujours été le cas, il y a une vingtaine d’années, le rapport entre la prime d’assurances et les dépenses liées aux accidents n’était pas identique dans tous les groupes, les propriétaires des véhicules des groupes élevés payaient des primes proportionnellement un peu moins élevées que ceux des véhicules les moins dangereux).

 

Les derniers résultats des compagnies d’assurances prouvent le bien fondé de l’usage de cette formule de tarification et la persistance d’un effet très important des caractéristiques liées au véhicule sur le risque accidentel. Ce constat s’oppose à l’argumentation des adversaires de la limitation de la vitesse à la construction, fondée sur le fait que la très grande majorité des accidents surviennent à des vitesses inférieures à 130 km/h et pourraient de toutes façons être provoqués par des véhicules limités par construction à cette vitesse maximale. Dans un système associant un outil et un utilisateur, l’interaction entre les deux facteurs est une réalité constatée par tous les ergonomistes dans tous les domaines. Si le véhicule n’intervenait pas dans les excès de vitesse à moins de 130 km/h, les assureurs n’auraient pas besoin d’utiliser leur formule pour évaluer le risque et fixer la tarification. Ils pourraient se contenter de tenir compte de l’ancienneté du permis et du bonus-malus pour les conducteurs ayant plusieurs années d’expérience de la conduite (le risque lié à l’inexpérience devient négligeable après environ cinq années de conduite). Nous pouvons dire que l’amplitude élevée du risque relatif entre les différents groupes de véhicules circulant il y a une trentaine d’années traduisait la diversité du parc mis en service et la coexistence de véhicules lents et légers avec des véhicules plus rapides et plus lourds. Actuellement l’amplitude des variations du risque s’est réduite parce que la vitesse maximale des véhicules s’est élevée, il est facile de constater que pratiquement tous les véhicules légers dépassent 150 km/h. Dans le même temps il y a toujours un ensemble de conducteurs aux attitudes très diverses face au risque routier, mais dont une grande partie surestime ses capacités de conduite (environ deux conducteurs sur trois estiment conduire mieux que la moyenne !). Si le risque relatif de cet ensemble de conducteurs varie avec l’évolution du parc automobile, et si les assureurs continuent à fonder principalement l’évaluation du risque sur des caractéristiques liées au véhicule, c’est bien parce que ce dernier est un facteur causal dans la survenue du risque. Il serait aventureux d’imaginer que l’aptitude d’un conducteur donné à provoquer des accidents détermine totalement sa motivation d’achat d’un modèle donné de véhicule (avec ses risques calculés par la formule des assureurs) et que le résultat de cette formule peut être confondu avec un indicateur de comportement !

 

Ces données constituent un argument décisif pour affirmer que les caractéristiques des véhicules utilisés jouent un rôle majeur dans la survenue des accidents dans toutes les configurations de voies et de limites de vitesse. Quand on dispose d’un instrument inadapté au respect des règles et qui incite en permanence à leur transgression par ses « qualités » (réduction des bruits aérodynamiques, accélérations, vitesse maximale élevée), ces caractéristiques favorisent l’accroissement du risque.

Nous avons reproduit certains documents déjà anciens pour montrer l’importance du retard dans le passage à l’acte politique dans ce domaine. Les décideurs politiques se retranchent souvent derrière les incertitudes des scientifiques pour différer des mesures. Dans le cas de la vitesse inutile et dangereuse les connaissances sont disponibles depuis plus de trente ans et le passage à l’acte politique de prévention est toujours différé.

Prétendre qu’il est impossible de faire évoluer l’Union sur ce dossier est inexact. Il faudrait avoir essayé de le faire sérieusement pour prétendre que l’objectif est inaccessible. Tous les combats de santé publique ont été gagnés en Europe par des initiatives fortes et non par des paroles. Si la France annonce qu’en 2010 aucun véhicule dépassant 130 km/h ne pourra être immatriculé sur son territoire, elle sera dans son rôle de défenseur des droits de l’homme et provoquera l’évolution aboutissant à la généralisation de cette mesure indispensable et facile à mettre en oeuvre.