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La dernière question ! Pourquoi ne pas demander aux candidats de s’engager sur  … tel ou tel problème 

Le champ de la sécurité sanitaire est sans limites. Chacun d’entre nous est confronté périodiquement à la question d’un interlocuteur qui commence par « vous qui savez proposer ( demander, exiger…), des décisions de santé publique, pourquoi ne demandez-vous pas aux décideurs de… ». Suit une proposition parfois pertinente, parfois absurde, parfois faite à plusieurs reprises et qui s'impose (mais dont la mise en oeuvre effective est encore incomplète, le dépistage du cancer du colon est probablement le meilleur exemple), parfois difficile car elle concerne un domaine mal connu ou à l’opposé un problème bien connu qui n’appelle pas de décision nouvelle à nos yeux.

Nos réponses (il y en a plusieurs) sont maintenant bien au point :

Le domaine de la "précaution" et ses limites, notamment celles de son usage juridique

La notion de "principe de précaution" a d'abord été appliquée à des problèmes d'environnement difficiles à traiter politiquement pour deux raisons bien identifiées : l'absence de certitude scientifique sur les risques encourus et le fait que ces risques pouvaient avoir des conséquences à long terme allant bien au delà des dégâts potentiels immédiats. Une épidémie de listériose provoquée par des saucisses ne va concerner que les consommateurs du lot contaminé. Qu'il y ait ou non une action administrative ou médicale de "santé publique", le dommage sera circonscrit dans le temps et à un cercle limité d'humains. Si la production excessive de dioxyde de carbone modifie sensiblement le climat de la planète, les dégâts vont concerner tous les humains à venir pendant une période dont on ne peut fixer les limites. C'est ce dernier domaine qui était visé par les créateurs de ce "principe". L'expression a eu un tel succès qu'elle a été utilisée progressivement pour désigner toutes les circonstances dans lesquelles le risque ne peut être documenté avec précision, même si ses conséquences sont limitées dans le temps et dans l'espace. Nous avons vu il y a quelques années que l'on pouvait retirer de la circulation des boîtes de coca-cola suspectes au nom de la "précaution", alors qu'il n'y avait aucun argument objectif permettant de suspecter leur rôle dans une intoxication alimentaire bénigne d'un groupe d'adolescents.

La "précaution" devient une préoccupation des gestionnaires politiques et des juges. Fin 1999 un rapport rédigé à la demande du Premier ministre par Philippe Kourilsky et Geneviève Viney (un scientifique qui a dirigé le CNRS et une spécialiste du droit de la responsabilité) a fait le point sur les multiples problèmes soulevés par son application. Ils définissent comme suit le champ concerné et les principes à suivre : " La précaution vise à limiter les risques encore hypothétiques, ou potentiels, tandis que la prévention s'attache à contrôler les risques avérés. Précaution et prévention sont deux facettes de la prudence qui s'impose dans toutes les situations susceptibles de créer des dommages. La précaution se distingue de la prévention du fait qu'elle opère en univers incertain, ce qui exige des modalités d'action particulières : il faut évaluer la réalité des risques, dégager les solutions qui peuvent les réduire, comparer les scénarios, décider d'une action, engager les recherches qui peuvent dissiper l'incertitude, suivre la situation, adapter les mesures et réviser les décisions autant qu'il est nécessaire. Même si, dans certains cas, il peut conduire au moratoire, le principe de précaution est tout le contraire d'une règle d'inaction ou d'abstention systématique. L'incertitude requiert, à l'inverse, que soient mobilisées des connaissances et des compétences variées, et que les décisions et leur suivi soient inscrits dans des cadres rigoureux. L'exercice de la précaution doit se traduire par le respect d'un jeu de procédures. Au dicton "Dans le doute, abstiens-toi", le principe de précaution substitue l'impératif : "Dans le doute, mets tout en oeuvre pour agir au mieux"."

Dans la pratique il est difficile d'utiliser ce principe comme un argument pour obtenir une décision politique en passant éventuellement par la voie judiciaire pour au moins deux raisons. La première est directement liée aux incertitudes qui font partie de la définition du principe. Comment se plaindre d'un dommage si l'on est incapable de prouver le lien causal entre un événement et la conséquence dommageable qu'on lui impute ? La seconde est que lorsque des textes de référence l'envisagent, ils ne définissent pas de sanctions en cas de violation même manifeste de ce principe. Les premières apparitions concrètes dans des textes du principe de précaution appliqué à la sauvegarde de l'environnement datent de 1990. La troisième conférence internationale pour la protection de la mer du Nord a précisé une notion déjà envisagée lors de la conférence précédente de 1987 sous la forme suivante : "Les gouvernements signataires doivent appliquer le principe de précaution, c'est-à-dire prendre des mesures pour éviter les impacts potentiellement dommageables des substances toxiques, même lorsqu'il n'existe pas de preuve scientifique de l'existence d'un lien de causalité entre les émissions et les effets". L'expression a été reprise en 1992 dans le principe n°15 retenu par la conférence des Nations Unies sur l'environnement et le développement qui s'est tenue à Rio de Janeiro. Là encore l'absence de certitude scientifique cessait d'être un motif d'inaction : En cas de risque de dommages graves ou irréversibles, l'absence de certitude scientifique absolue ne doit pas servir de prétexte pour remettre à plus tard  l'adoption de mesures effectives visant à prévenir la dégradation de l'environnement". Dans le droit français c'est la loi sur l'environnement du 2 février 1995 qui indique :

"Art. L. 200-1. - Les espaces, ressources et milieux naturels, les sites et paysages, les espèces animales et végétales, la diversité et les équilibres biologiques auxquels ils participent font partie du patrimoine commun de la nation.

Leur protection, leur mise en valeur, leur restauration, leur remise en état et leur gestion sont d'intérêt général et concourent à l'objectif de développement durable qui vise à satisfaire les besoins de développement des générations présentes sans compromettre la capacité des générations futures à répondre aux leurs. Elles s'inspirent, dans le cadre des lois qui en définissent la portée, des principes suivants :

- le principe de précaution, selon lequel l'absence de certitudes, compte tenu des connaissances scientifiques et techniques du moment, ne doit pas retarder l'adoption de mesures effectives et proportionnées visant à prévenir un risque de dommages graves et irréversibles à l'environnement à un coût économiquement acceptable".

Ce texte ne permet pas d'aller devant un tribunal en prétendant que la France ne respecte pas les accords de Kyoto de 1997 puisque nos émissions de dioxyde de carbone dans les transports ne suivent pas la courbe descendante qui nous permettrait de respecter ces accords en 2012. De tels documents nationaux ou internationaux sont finalement des satisfactions de principe pour ceux qui se préoccupent de l'environnement, mais ils n'ont pas encore le pouvoir de faire du droit un outil pour obtenir des décisions effectives. Nous sommes là à la jonction du juridique et de la communication, on gesticule pour donner l'impression d'une détermination et d'une action, mais il n'y a pas de contrainte juridique réelle et quand la conférence de la Haye tente de donner un contenu aux prémisses de Kyoto, les états les plus "dépensiers" en énergie, sous la direction des Etats-Unis, bloquent les décisions et l'Union européenne est incapable d'imposer ses idées. L'accroissement des prix du pétrole brut depuis l'année 2000, qui est un facteur incitant à la réduction du gaspillage, aurait dû provoquer l'accroissement des tarifs des transports routiers sans drame ni conflit. Il était possible que les transporteurs, agissant dans un système libéral, répercutent les accroissements de charges sur les prix. La seule exigence était que les surcoûts liés au prix du pétrole soient identiques pour tous, notamment d'un pays de l'Union à l'autre. Cette solution n'a pas été retenue, le choix gouvernemental fut d'alléger les charges des entreprises de transport, créant une entorse de plus dans la mise en œuvre de la précaution instituée par la loi de 1995. L'arbitrage s'est alors fait dans le même sens que lors de la suppression de la vignette auto qui permettait de surtaxer les puissances inutiles et dangereuses et d'agir dans le sens d'une réduction de la pollution par le dioxyde de carbone.

L'Union Européenne semble vouloir développer l'usage du principe de précaution dans ses décisions et un texte de la commission du 2 février 2000 précise comment elle entend le faire. Ce communique souligne que : "Le principe de précaution n'est pas défini dans le Traité qui ne le prescrit qu'une seule fois – pour protéger l'environnement, mais dans la pratique, son champ d'application est beaucoup plus vaste, plus particulièrement lorsqu'une évaluation scientifique objective et préliminaire indique qu'il est raisonnable de craindre que les effets potentiellement dangereux pour l'environnement ou la santé humaine, animale ou végétale soient incompatibles avec le niveau élevé de protection choisi par la communauté". Ce texte fait apparaître un sens communautaire à la précaution dans le paragraphe qui indique que : " Le principe de précaution, que les décideurs utilisent essentiellement dans la gestion du risque, ne doit pas être confondu avec l'élément de prudence que les scientifiques appliquent dans l'évaluation des données scientifiques. Le recours au principe de précaution présuppose que les effets potentiellement dangereux d'un phénomène, d'un produit ou d'un procédé ont été identifiés et que l'évaluation scientifique ne permet pas de déterminer le risque avec suffisamment de certitude. En outre le document indique clairement la nature politique du compromis à trouver entre la définition du risque inacceptable, le niveau d'incertitude des connaissances scientifiques et les préoccupations du public, tout en ajoutant des commentaires très intéressants sur la nécessité d'être cohérents avec des mesures similaires déjà adoptées. La notion de cohérence signifiant que : " les mesures devraient être d'une portée et d'une nature comparable avec les mesures déjà prises dans des domaines équivalents où toutes les données scientifiques sont disponibles". Cette remarque d'une logique parfaite va rapidement poser des problèmes à l'Union, car actuellement son attitude est loin d'avoir atteint la cohérence exigée par la commission. Dans certains domaines des décisions sont prises au nom de la précaution, dans d'autres les certitudes existent et les oppositions internes à l'Union bloquent les décisions. La cour de justice de Luxembourg va se trouver confrontée à ce type de contradiction et elle devra développer une jurisprudence conforme à la notion de cohérence. Quand le tribunal de l'Union (la cour de justice de Luxembourg) fait référence explicitement à la précaution dans des arrêts avec des phrases affirmant que : "les exigences liées à la protection de la santé publique doivent incontestablement se voir reconnaître un caractère prépondérant par rapport aux considérations économiques" , on conçoit que malgré les insuffisances des juridictions de l'Union, notamment l'absence de justice pénale, les recours vont se développer dans les années à venir, en se fondant sur la nécessité d'avoir une cohérence entre ce que l'on fait pour les OGM, les hormones, la viande de bœuf, l'amiante ou les automobiles.

Face à une telle complexité, il est évident que les questions qui concernent la planète seront gérées au seul niveau adapté : celui de la communauté des Nations, qu'il s'agisse des Nations Unies ou par d'autres organismes internationaux ad hoc. Quand les actions sont encore envisageables au niveau national la meilleure solution serait d'accepter le référendum d'initiative populaire. Il est également possible d'obtenir par cette technique du referendum au niveau national que nos représentants engage des actions contraignantes au niveau de l'Union. Notre proposition d'un décret français interdisant la mise en circulation d'un véhicule inutilement rapide et de ce fait inutilement dangereux à partir par exemple de 2010 serait un bon exemple d'une telle procédure. Une fois le décret pris la Cour de Luxembourg préciserait le droit et dirait si la France peut agir unilatéralement parce que : "les exigences liées à la protection de la santé publique doivent incontestablement se voir reconnaître un caractère prépondérant par rapport aux considérations économiques".