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Tabac, alcool, alimentation : « Les agissements de puissants lobbies causent chaque année au moins un quart des décès en France »

Tribune

Collectif

Des spécialistes de santé publique interpellent dans une tribune au « Monde » les candidats à l’élection présidentielle, et prônent des dispositions législatives et réglementaires pour réduire massivement maladies, handicaps et mortalité prématurée.

Le Monde publié le 14 mars 2022

Tribune. Depuis 1988, nous questionnons les candidats à la présidence de la République sur leur engagement à mettre en œuvre des mesures de santé publique simples et efficaces. Nous avons parfois été entendus, contribuant notamment à la suppression de la promotion du tabac, au droit à respirer sans fumée dans les lieux publics et au travail, au contrôle de la publicité pour l’alcool et à la réduction de la mortalité sur les routes.

Nous n’avons pas toujours été écoutés alors que certaines mesures, dont l’efficacité est démontrée, auraient pu améliorer la santé des Français. C’est pourquoi nous interpellons à nouveau les candidats à l’élection présidentielle.

Bilan des engagements pris en 2017

Il convient de saluer certains engagements pris par le candidat Emmanuel Macron en 2017 et qui ont été tenus. Le prix du paquet de cigarettes est à 10 euros comme promis. Le système d’information nutritionnelle sur la face avant des produits alimentaires (le Nutri-score) a été soutenu et l’activité physique promue pour les plus fragiles avec 285 maisons « sport-santé ».

En ce qui concerne la sécurité routière, les résultats sont discutables. Le passage à 80 km/h pour les voies à double sens sans séparateur central a dans un premier temps été mis en œuvre. Cette mesure a permis d’épargner 349 vies durant les vingt premiers mois d’application sur le réseau hors agglomération, hors autoroute. Cette mesure a ensuite été partiellement remise en cause fin 2019 par la loi d’orientation des mobilités qui a laissé 33 départements choisir un retour aux 90 km/h. Ces départements ont vu la mortalité routière augmenter de nouveau.

Quant à l’attitude du président de la République concernant l’alcool, elle a été constamment favorable aux intérêts mercantiles du secteur industriel des alcooliers. Pourtant l’alcool est la première cause d’hospitalisation et la seconde cause évitable de décès en France. Malgré toutes les promesses, même le message de prévention destiné aux femmes enceintes n’a pas évolué, restant invisible et illisible.

Quelles solutions aujourd’hui ?

Le champ de la santé étant très vaste, nous avons priorisé sept thèmes cruciaux : le système de santé, l’alcool, le tabac, le cannabis, la nutrition, la vaccination et la sécurité routière.

L’épidémie de Covid-19 a fait apparaître au grand jour un système de santé érodé et sous-équipé par une succession de réformes restrictives. Le Ségur de la santé est un rattrapage indispensable pour l’hôpital tant celui-ci est en souffrance. Des réformes structurelles sont dorénavant attendues pour améliorer le fonctionnement de notre système de santé : du système de soins, de la santé publique et en particulier de la prévention, mais aussi pour refonder un système d’assurance unique et universel du sanitaire et du médicosocial.

En matière d’alcool, tout reste à construire ou à reconstruire tant la loi Evin a été affaiblie au cours des années. La France demeure un des plus gros consommateurs d’alcool d’Europe. Les conséquences sanitaires et sociales de la consommation d’alcool sont très documentées. Les recommandations de l’Organisation mondiale de la santé et les expertises des agences sanitaires proposent une série de mesures, validées et efficaces, qui permettraient d’en réduire les risques : instauration d’un prix minimum, indication de la quantité d’alcool pur et du nombre de calories sur les contenants avec l’avertissement « l’alcool est dangereux pour la santé », réglementation de la publicité et soutien des campagnes de prévention, notamment.

La baisse de consommation de tabac observée depuis 2014 s’est interrompue durant l’épidémie de Covid-19. Il convient de poursuivre les efforts afin que la génération à naître soit une génération sans tabac : respect des interdictions, augmentation des taxes pour porter le prix du paquet de cigarette à 20 euros, élimination de la fumée visible de la vie publique.

Les 900 000 consommateurs quotidiens de cannabis démontrent l’échec d’une politique publique orientée essentiellement sur le volet sécuritaire. Certains Etats en ont tiré la leçon pour légaliser le cannabis ou pour mettre en œuvre une politique moins répressive envers les consommateurs. Nous demandons un débat citoyen sur le cannabis et que soient analysés les arguments favorables ou défavorables à sa légalisation.

« Les 900 000 consommateurs quotidiens de cannabis démontrent l’échec d’une politique publique orientée essentiellement sur le volet sécuritaire »

Par ailleurs, nous sommes confrontés au risque croissant d’une alimentation excessive en quantité et inadaptée en qualité, ainsi qu’à l’augmentation de la sédentarité. Les dérives alimentaires se combinent avec une décroissance de l’activité physique, en partie liée à l’augmentation du temps passé devant les écrans. L’adoption d’une information nutritionnelle sur la face avant des produits (le Nutri-score) est une grande avancée et nous espérons que l’Union européenne la rendra obligatoire. Une nouvelle impulsion et de nouvelles mesures s’imposent pour améliorer la situation nutritionnelle de l’ensemble de la population et réduire les inégalités sociales.

A côté des actions de communication et d’information pour orienter vers des comportements plus favorables à la santé, il est indispensable d’agir sur l’offre alimentaire et sur l’offre d’activité physique, associant notamment la réglementation de la publicité et du marketing, la taxation des produits de moindre qualité nutritionnelle et le soutien du développement de l’activité physique à l’école.

La vaccination fait depuis des mois la « une » des journaux. Nous avons choisi de ne pas entrer dans le débat de la vaccination contre le Covid-19, mais de rappeler le retard considérable de la France dans la vaccination contre le papillomavirus (HPV). Son objectif est la prévention de cancers et pourtant la couverture vaccinale française contre le HPV reste très faible : 41 % pour une dose chez les filles de 15 ans et 33 % pour le schéma complet chez les filles de 16 ans. Des résultats bien meilleurs sont observés dans de nombreux pays d’Europe.

Enfin, l’impulsion en matière de sécurité routière doit être poursuivie sur la base des données scientifiques associant réduction de vitesse et lutte contre les gaz à effet de serre. Le mauvais bilan 2021 de l’Observatoire national interministériel de la sécurité routière doit amener à supprimer le retour à 90 km/h des vitesses maximales sur les routes ne séparant pas les sens de circulation.

Nous sommes des promoteurs de décisions efficaces, privilégiant l’action sur les risques graves, accessibles à des mesures bien identifiées dont l’efficacité est démontrée. Notre but n’est pas d’interdire de consommer de l’alcool, de fumer, de manger des barres chocolatées ou des chips et de conduire une voiture, mais de refuser que la vie de nos concitoyens soit soumise à des intérêts purement financiers.

L’hypocrisie et les mensonges bafouant les connaissances les plus solides sont insupportables. Nous refusons le blocage insidieux de décisions dont l’efficacité est assurée. En limitant notre questionnement au tabac, à l’alcool, à l’automobile et à l’alimentation, nous dénonçons les agissements de puissants lobbies, porteurs d’intérêts considérables, qui causent chaque année au moins un quart des décès en France. Prendre des dispositions législatives et réglementaires ayant fait leur preuve dans ces domaines permettrait de réduire massivement maladies, handicaps et mortalité prématurée.

Ainsi nous posons à tous les candidats à la présidentielle 23 questions, auxquelles il leur est demandé de répondre sans ambiguïté par oui ou par non. Les réponses ou l’absence de réponses seront publiées et accessibles au plus grand nombre sur Internet. En offrant ainsi aux électeurs la possibilité de se déterminer sur pièces, nous sortons de la discussion entre experts et ouvrons publiquement le débat.

Les signataires : Bernard Basset (médecin spécialiste en santé publique), Amine Benyamina (professeur de psychiatrie-addictologie, université Paris-Saclay), François Bourdillon (médecin spécialiste de santé publique, ancien directeur de Santé publique France), Gérard Dubois (professeur honoraire de santé publique, université Jules-Verne, Amiens, Académie de médecine), Irène Frachon (pneumologue, CHU de Brest), Claude Got (professeur honoraire de médecine, université René-Descartes, Paris), Serge Hercberg (professeur émérite de nutrition, université Sorbonne-Paris-Nord), Catherine Hill (épidémiologiste, Institut Gustave-Roussy), Albert Hirsch (professeur émérite de pneumologie, université Paris-VII, Paris), Mickael Naassila (professeur de physiologie, université Jules-Verne, Amiens) et Chantal Perrichon (présidente de la Ligue contre la violence routière).

Nos questions aux candidats et les textes qui les justifient sont accessibles, comme les textes concernant les élections présidentielles précédentes depuis 1988, sur le site Securite-sanitaire.org

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